Voici un extrait de texte qui vient du livre écrit par le Groupe Marcuse, c’est-à-dire le Mouvement Autonome de Réflexion Critique à l’Usage des Survivants de l’Economie. C’est un groupe de jeunes chercheurs. Ce passage est extrait du livre De la misère humaine en milieu publicitaire, sous titré : Comment le monde se meurt de notre mode de vie. (La Découverte, Paris, 2004).
« Sa fonction [la publicité] est donc bien différente, dans les sociétés hyper-industrialisées, de celle dont elle était investie à d’autres époques, lorsqu’elle servait de machine de guerre contre la culture populaire. Il fallait, alors, éliminer les valeurs et les usages qui entravaient le déploiement de la marchandise dans la vie quotidienne. Cette bataille culturelle semble gagnée. Mais la publicité n’en reste pas moins nécessaire pour appuyer la marchandisation des pans de l’existence qui ne l’étaient pas encore (sécurité privée, épargne-retraite en Bourse, relations amoureuses, etc.). Et elle sera toujours là, avec ses stratégies désormais aguerries, pour faire tomber les dernières barrières morales et présenter comme « naturelles et allant de soi » les innovations les plus détestables : la marchandisation des relations de voisinage, de la procréation, de la vie… rendue de toute façon inévitable par la dégradation effective, du fait du développement industriel, de ces ultimes espaces qu’il n’avait pas encore investis. Aujourd’hui, c’est cette dernière dynamique, qui explique l’intensification du consumérisme. Les contraintes matérielles ne nous laissent la plupart du temps pas le choix. La substitution de l’univers marchand à l’ancien monde familier semble à bien des égards achevée. On peut difficilement se passer de voiture, s’approvisionner ailleurs qu’au supermarché, et aménager son quotidien autrement qu’avec les marchandises fournies par la grande industrie. Celle-ci a fait le vide autour d’elle, et tout le monde en est devenu dépendant. A ce titre, la publicité n’est plus un élément déterminant de l’industrialisation du monde. Il n’est même plus besoin, pour imposer le consumérisme, de convaincre de son bien-fondé. C’est plutôt pour maquiller ce triomphe du capitalisme que la publicité demeure plus que jamais nécessaire. Elle nous invite, en habillant le nihilisme marchand d’un semblant d’esthétique, à célébrer après-coup son avancée destructrice. En remplissant le vide engendré par l’Economie, la publicité entérine sa victoire. Par son déferlement elle valide et clôt, sur le plan sensoriel et imaginaire, le remodelage industriel du monde. Elle participe pleinement à cette ambiance synthétique qui nous suit partout, quelque soit notre activité, générant un bruit de fond permanent qui martèle au fond toujours le même ordre : « il n’y a pas d’en dehors ». Dans Brazil, le film de Terry Giliam, les panneaux publicitaires plantés au bord des routes empêchent les automobilistes de porter leur regard au-delà d’eux, sur le paysage non urbanisé et la nature. Ils bouchent l’horizon de conscience en l’encombrant de marchandises. Mais ce film révèle aussi une seconde fonction de la publicité contemporaine : cet en dehors est un désert, celui là même que produit ce mode de vie dont les publicitaires nous font l’apologie. En instillant continûment en nous la certitude qu’il n’y a pas d’autres mondes possibles, ni même souhaitables, et en masquant l’étendue du désastre, la publicité désamorce tout ce qui pourrait conduire à une contestation du monde industriel, et même plus : elle canalise le mécontentement qu’il suscite vers des exutoires marchands qui favorisent son développement (voyage sous les tropiques, médicaments, calmants, club de gym, jeux de hasards, etc.), et nous détourne de toute réflexion sur la vie que nous sommes forcés de mener. Terry Gilliam l’avait compris : au-delà de ses prétentions commerciales, c’est une véritable propagande. » (p.74-75-76).